Sans solutions de fonds propres ou de quasi fonds propres, risque d’une prolifération d’entreprises «zombies»
Un fonds généraliste de prêts participatifs à large échelle recommandé
Les prêts doivent être focalisés sur la relance et distribués selon le profil de risque des entreprises au moment du prêt et non pré-crise
– L’Economiste: La crise actuelle ne risque-t-elle pas de se transformer en crise bancaire?
– Hassan Belkhayat: Le Maroc a fait le choix, comme beaucoup de pays plus développés, d’utiliser son système bancaire bien développé ainsi que son système de garantie, quasi unique en Afrique, pour lisser sur la durée les pertes des entreprises issues de la crise à travers les prêts garantis. Cette réponse, rapide et efficace, rendue également possible par l’engagement de Bank Al Maghrib de refinancer tous ces prêts ont profité à ce jour à 80.000 bénéficiaires, selon le ministre de l’Economie et des Finances. Avec l’extension de la durée de la crise, ce produit est un produit de survie pour les entreprises. Le vrai risque pour les banques est le phénomène de faillites en cascade du tissu économique du fait d’une sous-capitalisation des entreprises à la fin de la période de grâce. Sans solutions de fonds propres ou de quasi fonds propres, le tissu économique risque de se transformer en entreprises «zombies» mobilisant tout leur excédent d’exploitation pour rembourser leurs dettes bancaires quand ils le peuvent, et sans perspective de croissance.
– Comment le Fonds Mohammed VI pour l’investissement pourrait-il être efficace dans la relance de l’économie?
-Nicolas Andreae: Les solutions de fonds propres qui doivent être apportées sont critiques pour équilibrer les bilans des entreprises productives, et sont le pendant des prêts garantis. Certains actionnaires pourront recapitaliser leurs entreprises, mais une grande partie n’ont pas les moyens et doivent être appuyés. Le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, de par sa taille qui correspond globalement au besoin de recapitalisation de l’économie pour compenser la perte de valeur issue de la crise, est salutaire à ce titre. Le Fonds doit en revanche être flexible pour permettre différents produits adaptés aux besoins de différents types d’entreprises.
Il faut qu’il y ait une offre de Private Equity pour des grandes entreprises structurées, mais cela reste une solution de niche qui nécessite beaucoup de temps et de ressources de gestion. Il est possible aussi de distribuer des obligations convertibles avec l’avantage de différer la discussion sur la valorisation à plus tard, une fois qu’il y a plus de visibilité et des équipes de gestion plus rodées. Ces solutions peuvent être sectorielles pour permettre de constituer des équipes de gestion aguerries et de qualité, et pouvoir utiliser le fonds pour consolider certains secteurs. Cependant, ces solutions ne vont concerner qu’un nombre réduit d’entreprises de par la complexité de ces produits et prendront du temps avant d’être déployées. Il est en revanche nécessaire d’imaginer et d’innover pour toucher le plus grand nombre d’entreprises, et avoir un impact rapide sur le tissu plus large pour permettre sa relance.
– Quels mécanismes innovants le secteur financier et l’Etat pourraient-ils déployer?
– Nicolas Andreae: Un des sous-fonds prévus par le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement pourrait être dédié à un fonds généraliste de prêts participatifs à large échelle, co-abondé par des institutionnels à passif long comme les assureurs.
Ce fonds, dérisqué par l’apport de l’Etat, pourrait viser un retour supérieur aux obligations d’Etat. Ces prêts participatifs, pouvant être soit des prêts subordonnés remboursables en dernier lieu, soit des produits hybrides avec partage de valeur (equity kicker), devraient être considérés dans les traitements comptables comme des fonds propres. Il s’agit donc de distribuer à large échelle des prêts remboursables in fine après une très longue période avec des taux abordables. Ces prêts doivent être focalisés sur la relance et par conséquent doivent être distribués selon le profil de risque des entreprises au moment du prêt et non pré-crise. C’est pour cela que distribuer ce produit à travers le réseau bancaire peut faire beaucoup de sens à condition de prendre les bonnes mesures de prévention pour éviter des dérives, en gardant d’une manière ou d’une autre une part du risque chez les banques. Ces prêts peuvent même d’une certaine manière réduire l’exposition finale de l’Etat si elles servent à racheter certains prêts garantis Damane. Ce type de produit, novateur, à large échelle visant des PME et entreprises de taille intermédiaire, serait une innovation majeure en Afrique, qui pâtit de problématiques similaires, et surtout pourrait être déployé très rapidement, à la différence des autres solutions.
Pour les experts, le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, de par sa taille qui correspond globalement au besoin de recapitalisation de l’économie pour compenser la perte de valeur issue de la crise, est salutaire. Cependant, estiment-ils, il devrait être flexible pour permettre différents produits adaptés aux besoins de tous types d’entreprises (Ph. L’Economiste)
– En situation de crise, le timing est important. Avons-nous le bon rythme en termes de déploiement de mesures de soutien pour redresser rapidement l’économie?
– Hassan Belkhayat: Le Maroc, à travers le Comité de veille économique a été perçu comme un exemple en termes de célérité de réponse aux problématiques des entreprises et de rapidité de décision au début de la crise. De nouveaux produits financiers comme Damane Oxygène et Damane Relance ont très vite été imaginés, paramétrés et vu le jour. Mais ces mécanismes avaient un cadre juridique et la Caisse centrale de garantie comme institution a joué un rôle important dans leur déploiement. Ici, il s’agit non seulement de constituer de nouveaux véhicules, mais également de recruter des équipes, lever du financement autre que le budget de l’Etat et créer de nouveaux produits qui n’ont peut-être pas encore de soubassement juridique. Néanmoins, l’urgence est là et c’est l’occasion unique de sophistiquer les produits financiers disponibles et améliorer l’attractivité du pays comme place financière continentale. C’est finalement un vrai test pour la flexibilité et le rôle de l’Etat et, de ce fait, sa capacité de matérialiser un nouveau modèle de développement du pays.